« Tout ça est si proche et si loin de l'endroit où tout a commencé. Le groupe de potes classique, qui s'enferment dans une salle d'enregistrement tapissée de cartons d’œufs. Qui se retrouvent à n'importe quelle heure du jour. Dessinent des guitares sur les livres et les cahiers. Les noms des groupes préférés sur les pupitres et dans des toilettes. Reproduire des accords entendus à la télé, vomir cette frustration d'être en dehors de tout : ne pas être anglais, beau, riche, ne pas avoir de voiture, ne pas être un autre. Et tous ces plats réchauffés, ces chambres qu'on partage avec les petits frères, les parents abrutis par le travail, le foot à la radio, la résignation, des mères frustrées, marrantes, prisonnières et geôlières à la fois. Les filles qui te brisaient le cœur. Les filles à qui tu brisais le cœur. Et le rock'n'roll comme un émetteur qui te reliait à tous ces autres types sur la planète. Ça te rendait supérieur, mythique, autre. Le rock'n'roll allait te sauver la vie. »
Que nenni.
Lorsque Francis revient chez son
père, la cinquantaine bedonnante et en plein sevrage, c'est une
grosse épave désabusée. Sa vie est derrière lui et il n'en reste
que de regrets. On aimerait compatir mais un petit quelque chose nous
en empêche. On sent que lui-même ne se comprend pas vraiment à
quel point il est un raté. Enfin si, Francis s'en doute. Frankie, en
revanche, aime encore à se pavaner, à s'imaginer qu'il aurait
encore quelque chose à dire.
Non, Francis ne souffre pas d'un
quelconque trouble de la personnalité, il est juste – comme nous
tous – partagé entre deux pôles, le cœur et la raison, la folie
et le rationnel, le désordre et l'ordre. Il n'aura jamais réussi à
équilibrer ces deux pôles. C'est là son plus gros échec. Mais il
n' est jamais trop tard, alors Francis, rangé des voitures, rentre
au bercail et essaie de mettre un peu d'ordre dans le foutoir qui lui
sert de vie.
« Alex, j'ai deux fils. Leur mère ne me laisse pas les voir. Je lui dois un paquet de pognon et elle a porté plainte. Au bout du compte, son objectif, c'est de les éloigner définitivement de moi. Cette semaine, je suis convoqué au tribunal. Je voudrais y aller sapé un minimum. Pour faire bonne impression, quoi. »
Parce qu'il a besoin d'un
costard Francis va se retrouver sur un coup un peu foireux, à Heron
City, galerie commerciale où de petites frappes ont l'habitude de se
servir de temps en temps pour alimenter leurs affaires.
C'est un concours de
circonstances favorable malgré tout, parce que ce coup foireux va
l'aider à trouver un boulot et à retrouver Marisol, demi-sœur
adoptive perdue de vue qui se fait entretenir aujourd'hui par le
vieux Don Damian, magnat du bingo barcelonais.
Marisol dont la vie n'est qu'une
série de grosses baffes. Le seul personnage qui m'a véritablement
touchée.
Dans un style cru et nerveux,
Zanon nous entraîne dans les bas-fonds de Barcelone et par la même
occasion dans ceux de l'âme humaine. Le retour de Francis devrait
être l'occasion pour lui de changer de cap, d'oublier Frankie. Nous
sommes entraînés, au contraire, dans une spirale de lâcheté, de
folie et de renoncements ahurissants. Même l'amour est méchamment
sali dans « J'ai été Johnny Thunders ».
L' autopsie d'une existence
gâchée, radiographie d'une Barcelone hors sentiers touristiques,
J'ai été Johnny Thunders est une claque qui fait mal mais qu'est-ce
qu'on est content de l'avoir prise !
J'ai
été Johnny Thunders,
Carlos Zanon, Traduction Olivier Hamilton, Asphalte éditions 2016
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