mardi 8 novembre 2016

Viande sèche - La Dernière Goutte- 2016


« Pour conclure, derrière chaque nom qui a participé à ce gigantesque massacre, il y a une histoire atroce. Et n'allez pas croire que ceux qui ont fait ça étaient des monstres faciles à reconnaître dans la rue, non, ceux qui l'ont fait étaient des hommes d'apparence normale, des époux aimants, de bons pères de famille, des gens qui vivent toujours parmi nous, sans remords ni regrets, et qui tiennent des discours justifiant leurs crimes. Certains de ces fils de pute parlent encore de « guerre sale »... »


J'ai raté le premier « Mariani », publié aussi aux éditions de La Dernière Goutte sous le titre Calibre 45. Qu'à cela ne tienne, Viande Sèche m'a fait comprendre que je devais rattraper mon erreur : on tient là un sacré personnage errant dans une Buenos Aires schizophrène, le tout porté par une plume posée, sobre, qui vous fait tourner les pages en oubliant tout ce qui vous entoure.

Mariani est détective privé. Fauché le plus clair de son temps, blasé, il porte au-dessus de la tête un nuage lourd de mélancolie qui n'attend qu'à ouvrir les vannes. Il partage son appartement avec deux tantes. Il boit des hectolitres de café, de gin-coca et de maté. Il connaît Buenos Aires comme sa poche, bas-fonds y compris. Rien ou presque ne l'étonne.

Il va tomber sur un os lorsque le type qu'il a été embauché pour retrouver, un vieux grincheux solitaire, s'avère être mort depuis une petite trentaine d'années. Ça, ça va l'intriguer, le Mariani.
J'aime et j'ai même une préférence pour les romans noirs qui sont tournés vers l'histoire récente : une preuve que l'Histoire ne pardonne jamais. Les anciens régimes totalitaires s'y prêtent bien : il y a tous les ingrédients, à commencer par le besoin de justice, voir de vengeance. C'est humain.
Mariani, incrédule devant l'évidence, ne peut pas laisser tomber avant de tout comprendre : son enquête le met lui-même en danger, raison de plus !
Dans une ville tantôt animée, tantôt aux apparences fantomatiques, le détective s'obstine à fureter, à remuer le passé et ses secrets mortifères. A faire tomber les masques.
Viande Sèche fait partie de la série de romans La Ballade du Británico, ayant pour personnage central le détective Mariani.
Je souhaite longue vie aux éditions de La Dernière Goutte, histoire de continuer à découvrir, grâce à elles, d'autres pans méconnus de la littérature internationale – fût-elle noire ou blanche.


Viande Sèche, Martin Malharro, traduction Delphine Valentin, Editions de La Dernière Goutte 2016

dimanche 6 novembre 2016

La Nuit est Leur Royaume. Rivages. 2016

 

« La graine fertile produit beaucoup de fruits. La graine corrompue donne aussi une récolte, mais quelle en est la valeur ? Seules la mort, la putréfaction et la peur sont les fruits de la mauvaise graine. La récolte défaillante n'est pas à blâmer. Le fruit pourri n'est pas coupable, ni les plans morts. Mais tournez-vous vers la graine, car c'est là que réside la faute. »

Je découvre Wessel Ebersohn cet automne avec La Nuit est Leur Royaume. Je découvre par la même occasion son personnage fétiche, Yudel Gordon ( La Nuit Divisée, Coin Perdu pour Mourir, Le Cercle Fermé, La Tuerie d'Octobre). Ce dernier titre introduisait également Abigail Bukula, juriste Sud-Africaine dont je viens aussi de faire la connaissance dans ce dernier opus d' Ebersohn publié par Rivages le mois dernier.

Je n'ai jamais caché mon penchant pour les romans qui se déroulent sur une toile de fond politique. Il y a deux raisons à cela : soit il s'agit de pays que je connais et dont je connais l'histoire (lorsqu'il s'agit des pays de l'est ou de la France) soit je trouve là un prétexte pour aller fouiller et mieux comprendre le contexte géopolitique. La littérature, blanche ou noire, peu importe, a cet effet formidable, de vous faire vous poser encore plus de questions à la fin d'un livre qu'avant de l'avoir commencé. Ou bien je suis à côté de la plaque.

C'est précisément ce qui s'est passé avec le roman que je viens de finir. Yudel et Abigail sont Sud-Africains mais l'affaire qui les occupe les emmène au Zimbabwe. Sept opposants au régime de Mugabe ont disparu et leurs camarades sont persuadés qu'ils se trouvent à la prison de Chikurubi. Parmi les sept il paraîtrait qu'Abigail en connaîtrait un. Chose dont elle n'est pas convaincue.

Mais elle connaît le Zimbabwe pour y avoir vécu. Des parents à elle y ont été massacrés. Les liens sont plus forts qu'elle n'aimerait l' admettre. Elle y va.
En ce qui concerne Yudel, psychologue, criminologue, Juif, marié à une Rose inquiète par les occupations de son fouineur de mari tellement passionné par son métier qu'il en oublie les risques, il est visiblement attaché à Abigail par une sacré mauvaise expérience vécue à ses côtés dans La Tuerie d'Octobre. Il la rejoint quelques jours plus tard.
Alors, si comme moi, vous tapez Zimbabwe dans la barre de recherche google, parmi les premières occurrences vous allez tomber sur « Zimbabwe tourisme ». Ça c'est un truc qui m'a toujours interpellée : quand est-ce qu'on se dit « tiens, je vais passer par un tour opérateur et puis acheter les guides touristiques pour me faire un trip all-inclusive à Harare » ?
Bref. Wessel Ebersohn ne travaille visiblement pas pour un tour opérateur. L'ambiance à Harare est plutôt pesante. Les gens meurent ou disparaissent. Lorsque ce n'est pas le cas ils ont peur. Et ils ont faim.
Le directeur de l'Organisation centrale du Renseignement s'intéresse de très près au dossier d'Abigail et, en plus, il n'est pas du tout insensible aux charmes de cette juriste coriace. A plusieurs reprises, en tant que lecteur, on arrête de respirer. Les choses se gâtent.
Très bon roman, lu presque d'une traite. Le rythme s’accélère au fur et à mesure que l'enquête progresse. Les doutes des personnages sont les nôtres, ainsi que leurs peurs.
La seule chose qu'il me reste à faire à présent c'est de lire les précédents bouquins de Wessel Ebersohn. Maintenant que je l'ai découvert, je ne vais pas le laisser s'en tirer si facilement !

La Nuit est Leur Royaume, Wessel Ebersohn, Traduction Fabienne Duvigneau, Rivages 2016



lundi 26 septembre 2016

Agullo 2016. Bordeaux. France.Europe. Monde. Abolir les frontières.


L'échange qui suit a eu lieu peu de temps avant la parution des premières publications Agullo, au mois de mai : Le Fleuve des Brumes et Spada. Pour différentes raisons je n'ai pas pu le retranscrire avant et je me dis maintenant que c'est tant mieux : le discours de Nadège Agullo est salutaire en cette période où l'on croirait que les portes se ferment les unes après les autres.
Formée à deux écoles à travers son parcours professionnel (française et anglo-saxonne), Nadège Agullo pose un regard novateur sur l'édition française. Accompagnée par Estelle Flory, Sébastien Wespiser et Sean Habig, ils forment une équipe qui détonne, mue par la passion, par des convictions communes et une ouverture au monde qui transcende tous les limites que les métiers de l'édition pourraient, parfois, imposer.

Quelles sont les frontières qu' Agullo entend abolir ?

J'avais déjà eu ces réflexions, comment positionner l'entreprise par rapport à nos goûts, etc., et là, faire ça une deuxième fois, c'était quand même dur...
Du coup, « abolir les frontières » on s'était dit que c'était un concept intéressant, outre le fait que ça fasse penser un peu à une ONG humanitaire (sourire), on trouvait ça intéressant parce que pour nous il y avait cette idée de découverte, de curiosité, de savoir comment ça se passe chez l'Autre. « L'Autre » ça peut être l'autre au bout du monde ou l'autre, ton voisin de pallier. C'est juste rentrer un peu dans la vie des gens et donc évidemment, outre les frontières géographiques – parce qu'on a quand même cette expertise d'aller chercher dans des territoires un peu moins connus, l'Europe de l'Est, notamment, l'année prochaine nous aurons aussi un titre qui vient du Bangladesh, outre ça, c'est aussi abolir les frontières politiques, une chose qui tient vraiment à cœur à Sébastien.
On pense aux frontières sociales et puis dans le concept de notre maison il fallait intégrer la notion d'abolition des barrières entre les genres, on a pas mal de titres qui mixent les genres, mais aussi entre les arts. On utilise un procédé photographique donc artistique pour nos couvertures et on se disait pourquoi pas, à un moment donné, essayer d'inclure aussi de la musique... on verra.
La typo du livres aussi c'est une typo qui est normalement utilisé dans le sous-titrage des vieux films américains. Il a donc tout ce mélange d'arts, etc, qui parle d'abolition de frontières à ce niveau là aussi.

Nous vendons nos titres fantastiques dans le rayon littérature générale, c'est aussi une façon d'abolir les frontières dans les genres littéraires. Même si, bien sûr, les libraires sont tout à fait libres de s'emparer de nos titres comme ils veulent. On préfère se positionner sans trop de « positionnement » pour justement ne pas trop s'enfermer et toucher le plus de lecteurs possibles...

En parlant de libraires, quels sont les premiers retours sur les titres à venir la semaine prochaine ?


Les retours sont partagés, ce qui est normal, on sort trois titres d'un coup ! Le Fleuve des Brumes, un roman parmesan, donc de la région de Parme et le politique-fiction, Spada sont tous les deux dans la collection Agullo NoirSpada aurait presque pu être vendu en litté générale.

Refuge 3/9, le troisième, il faut le lire, il est difficile d'en parler : il est hyper riche, il s'apparente au thriller folklorique, un peu métaphysique, road-trip folklorique, très très noir : un mélange de thriller, de folklore russe, de fantastique...

Dans le Fleuve des brumes, il y a un côté très Simenon, l'auteur crée des atmosphères, vraiment on s'y sent et ce qui est intéressant c'est que ça se passe dans une région d'Italie à l'automne/ hiver, il pleut tout le temps, il y a toujours du brouillard, ça casse un peu les clichées d'une Italie toujours ensoleillée, du sud, où tout le monde parle fort... là c'est le contraire. Alors il y a cette barge qui dérive sur le Pô et au cercle nautique des bateliers où t'as des hommes qui y travaillent depuis 50 ans, ils ont tous 80 ans, ils se disent, tiens c'est bizarre, Tonin, qu'est-ce qu'il lui arrive pour dériver comme ça, ça fait cinquante ans qu'il navigue, il a de l'expérience... Et là il passe un pont, deux ponts et la péniche s'échoue. On se rend compte qu'elle est déserte. Ça c'est juste le début. Le fleuve est en crue, on se demande s'il ne faut pas évacuer les gens qui vivent au bord du Pô à cause des inondations... sur trente pages on s'y voit ! La nuit, la pluie, l'humidité... et l'histoire parallèle, le commissaire Soneri, le héros du livre et qui est le héros récurrent de la dizaine de romans que Varesi a écrit avec ce commissaire-là, est appelé dans un hôpital où un vieux bonhomme est retrouvé défenestré. On pense à un suicide et on apprend que cet homme passait sa vie dans cet hôpital, sans être malade, il venait rendre visite aux patients et il y passait toutes ses journées. Soneri trouve ça bizarre mais lorsqu'il apprend qu'il y a un autre gars de 80 ans qui a disparu de sa péniche il se rend compte qu'ils étaient frères et que tous les deux avaient officié dans les milices fascistes à la fin de la guerre sur les bords du Pô. Donc c'est ces histoires de milices fascistes dans le milieu des bateliers dont la plupart étaient des partisans communistes... Nous on a beaucoup aimé, en plus c'est un polar qui se passe à la campagne, et puis le fleuve est un vrai personnage du roman.


Les libraires ont bien accroché, il se lit super bien, c'est riche et Varesi est super fort pour créer cette atmosphère si particulière, ce côté Simenon... On a déjà signé le prochain, il s'appelle La Logeuse et il sortira en mars 2017.


Alors Spada ?

Spada c'est un politique-fiction qui doit être lu, c'est plus compliqué d'en parler. Il y a eu une critique de libraire qui disait, par exemple, « jamais je ne serais allé de moi-même vers ce genre de livre : un politique-fiction où des Roms sont assassinés et avec une intrigue traitée par le biais de la politique... » Et en fait il est bien entré dans le livre, il a trouvé que c'était intelligent et intéressant. Quand je l'ai lu, moi, j'ai trouvé que c'était plus le côté fictionnel qui l'importait, les rapports humains et jusqu'où les hommes sont prêts à aller par pouvoir, etc
Ça se passe à Bucarest, des Roms qui ont un casier judiciaire sont assassinés par un genre de serial-killer qu'on surnomme Spada (le Poignard en roumain) et évidemment, comme les Roms sont une minorité ethnique qui n'est pas forcément bien intégrée à la population roumaine, très vite ça devient plus ou moins un problème politique. Assez rapidement il y a le représentant parlementaire de la communauté rom qui monte au créneau, qui affirme qui si ça avaient été des Hongrois de Roumanie ou des Roumains on aurait déjà retrouvé le coupable, là, ce sont des roms donc il n'y a pas d'efforts de la part des autorités.
A partir de ce moment là on voit vraiment ce qui se passe dans les coulisses politiques entre l'opposition, le président de la république qui est complètement dépassé, l'influence de l' Europe... L'auteur, Bogdan Teodorescu, est consultant politique et il a conseillé notamment les deux derniers candidats à l'élection présidentielle.
C'est un roman assez atypique finalement : c'est vrai qu'il y a des meurtres mais il n'y a pas d'enquête policière, ça se différencie du polar. Les meurtres sont le prétexte pour dire autre chose, un point de départ qui permet de déterrer des choses du passé et de comprendre les sociétés actuelles.


Comment vous faites pour découvrir les perles rares dans la littérature contemporaine internationale ?

Ça va faire 15 ans que je vais au Salon du Livre à Francfort, la question d'en rater un seul ne se pose même pas, même enceinte j'y suis quand même allée ! Et là tous les pays du monde sont représentés, c'est presque un énorme supermarché des droits où tu peux rencontrer des agents et des éditeurs de tous les pays ; dans mon autre vie j'ai aussi beaucoup voyagé, j'ai visité entre vingt et trente capitales européennes ; donc j'avais établi des contacts en Russie, en Pologne, en Roumanie, un peu partout en Europe.
On a aussi la chance d'être en contact avec des agents et des éditeurs à l'étranger et même des Centres Nationaux du Livre ; ça dépend toujours de l'humain derrière, de sa passion, de l'envie qu'il met au service de son travail. Généralement les gens qui sont attachés à la vente d'un titre à l'étranger savent qu'il faut présenter un texte traduit, un synopsis, une accroche en anglais. Parfois on a la chance que le livre ait déjà été traduit, comme Anna Starobinets ou Vladimir Lortchenkov. Si déjà on a un synopsis qui nous plaît, on va dire dix pages traduites en anglais avec un style qui nous plaît on va passer ce texte à un lecteur de la langue originale et là on va lui demander une fiche de lecture et longuement échanger avec lui à propos de ce titre.
Après c'est une question de feeling !
Vladimir Lortchenkov avait été traduit en douze langues : il y a aussi des indicateurs qui nous mettent sur de bonnes pistes. Internet est un outil excellent : des articles sur la littérature contemporaine polonaise, hongroise, tchétchène que sais-je, des noms d'auteurs qui circulent et qui interpellent, puis on approfondit la recherche : a-t-il déjà été publié en France, on remonte le fil, qui détient les droits... etc...

Le titre qui m'intrigue : L'installation de la peur, kesako ?

Rui Zink a déjà eu un titre publié chez Métaillé en 2013 : Le destin du touriste. C'est un auteur que j'ai découvert par le centre national du livre portugais il y a 2 ou 3 ans à Francfort et ce qui m'a plu au premier abord, ça a été le titre ! Entre le mot « installation », très matériel et le concept abstrait de la peur, l'association des deux c'est intriguant et déstabilisant ! Et ce feeling de départ a été totalement confirmé par la lecture faite par celle qui deviendrait sa traductrice Maïra Muchnick.
C'est l'histoire d'une femme qui vit dans un appartement avec son gamin et là il y a la sonnerie qui sonne de manière insistante et quand elle se décide à aller ouvrir il y a deux mecs qui lui disent « Bonjour Madame, nous sommes des agents du gouvernement, comme vous le savez la peur doit être installée dans chaque foyer sous un délai de 120 jours »
Ils entrent dans l'appartement et pendant les heures qui suivent ils vont installer la peur. C'est assez violent mais c'est une violence psychologique ; leurs méthode c'est de parler de toutes les peurs inhérentes à notre société contemporaine, la maladie, les étrangers, la pauvreté, le terrorisme, la guerre, etc... toutes ces grandes peurs universelles. C'est un véritable huis clos qui m'a fait penser à Huis Clos de Sartre ou au film Funny Games. Ça ne dérive jamais dans la violence physique, il faut le savoir, mais il y a un twist dans ce livre (sourire). Je l'avais découvert en 2014 et après tout ce qui s'est passé à Paris je me suis dit ce mec est un peu visionnaire quand même !


Comment te sens-tu à une semaine du lancement des premiers titres Agullo ?

J'ai eu un peu de pression, mais pour le moment ça va, nous avons de bons retours de libraires, de la presse. Les gens sont super bienveillants avec nous, ça fait extrêmement plaisir, évidemment !

Tu es très bien entourée, quelques mots sur l'équipe ?

Sébastien Wespiser qui a plusieurs vies à son actif (libraire, manager de groupe de rock, attaché parlementaire etc. …) est Directeur Commercial et réfléchit à de nouvelles possibilités de travail avec les libraires, notamment.
Estelle Flory, qui suit le travail avec le traducteur et le correcteur est une très bonne lectrice qui m'aide énormément.
Sean Habig travaille en tant que brand architect, il est à l'origine de la création de l'identité visuelle de certaines grandes marques. C'est à lui que nous devons le concept graphique de Mirobole et qui aujourd'hui participe activement à l'établissement de l'identité d' Agullo. Il est aussi cofondateur d'un bureau de design à Paris qui commence à gagner des prix et il commence à se faire connaître aussi dans le milieu de l'édition.
Tout le monde est motivé et enthousiaste, c'est l'essentiel !
Et la motivation tout comme l'enthousiasme paient ! Depuis notre entretien les éditions Agullo ont publié non seulement L'installation de la peur, comme prévu, mais aussi l'hilarant La Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort de S.G. Brown (que vous pourrez, par ailleurs, rencontrer en ce mois d'octobre si vous êtes à Paris, Nantes ou Bordeaux).
Le 6 octobre verra le jour le nouveau Vladimir Lortchenkov, Le dernier amour du lieutenant Petrescu, joyeux imbroglio diplomatique où la Moldavie serait en passe de devenir une future république islamiste.
Les retours continuent à être positifs. En moins d'un an Agullo s'est imposé dans le paysage éditorial français en tant que maison qui en a sous le pied.
Tout ce qui nous reste à dire c'est... vivement le « prochain Agullo » !




Entretien écrit pour les Unwalkers: http://www.unwalkers.com/ 

mardi 6 septembre 2016

Une virée chez les Apaches, L'été chez Cochise, Nicolas Roiret, Rue Fromentin

 

«  A Paul Brousse, j'ai dit au médecin que je n'étais pas candidat à une post-cure. Mon but était de retrouver la vraie vie au plus vite, pas de me regarder le nombril. Le principe, je l'avais bien compris, était de t'occuper l'esprit et le corps, t'aider à combler le vide laissé par la bouteille avant de rejoindre le grand bain.
Moi j'étais en postcure à la Villa, ce qui pouvait prêter à rire. Il y avait un côté Mowgli chez les loups. Pourtant, être entouré d'alcoolos renforçait mon blindage, j'en étais convaincu même si beaucoup, en silence, devaient penser que je finirais par craquer. »

L'été chez Cochise m'a plongée dans une chanson de Pigalle... la Villa de Cochise c'est un peu l'avant chambre de la salle du bar tabac de la rue des Martyres... C'est en tout cas l'effet que le roman de Nicolas Roiret m'a fait : j'ai a-do-ré !!! Autant dire que plus français que ça tu meurs ( petit clin d’œil à ceux qui pensent que la littérature française est un truc hyper aride et élitiste, c'est comme si on disait que la chanson française s'arrêtait à Zaz ou que sais-je.... écoutez les VRP nom de nom!!)

Bref, Rico sort de cure de désintox, il n'a pas envie de prolonger avec une post-cure, sa seule envie est de reprendre le cours de sa vie au plus vite et de retrouver la femme qu'il aime et pour laquelle il avait arrêté la tise.
Sauf que voilà, un dégât des eaux l'empêche de retourner dans son appartement. Alors il accepte l'invitation de Cochise, ancien partenaire de cure, et il emménage temporairement dans la Villa de ce dernier : « Une grande baraque, style Empire, derrière de hautes grilles hérissées. »

A ce stade de la lecture on peut encore imaginer tout et n'importe quoi quant à la suite des événements. Tout sauf la faune que Rico va découvrir derrière ces murs, tout sauf les hallucinants tournants que la poste-cure initialement pépère commencera à prendre peu de temps après son emménagement.
Inutile de vous raconter le déroulement des événements, je vous laisserai découvrir par vous même cet univers peuplé de camés, alcoolos, actuels / anciens acteurs de porno, producteurs de porno, actuelles/ anciennes putes, un Serbe qui fait la loi à Paris, un éminent membre du grand banditisme, j'en passe et des meilleures : l'endroit idéal pour arrêter l'alcool.

L'été chez Cochise, une virée chez les Apaches, une aventure à cent à l'heure avec des personnages plus vrais que nature (j'y pense, tout ça pourrait faire un super film complètement délirant), on se marre et on flippe aussi, Rico se retrouve à quelques moments dans des situations assez tendues et surtout, surtout on se demande : tiendra-t-il, tiendra-t-i pas, la bouteille loin de sa bouche ?

« J'ai inspiré profondément. Il était temps de lui présenter ma post cure à la Villa sous un angle plus réaliste, le porno, la coke, le sexe tarifé, la petite robe bleue, les films, le grand cerisier, les fenêtres ouvertes et pour clôturer le tout, McLeod, le frangin Zorro, avec sa tueuse et ses beaux yeux clairs.
A la fin de mon récit, il y a eu un blanc. « T'es là ? » j'ai fait.
-Oui, je réfléchissais ! A-t-elle dit, tu ne serais pas en train de me monter un bobard pour monter dans l'avion ? »

L'été chez Cochise, Nicolas Roiret, Editions Rue Fromentin 2016

Chronique écrite pour les Unwalkers




samedi 27 août 2016

Un roman incroyable. Une bouche sans personne. Gilles Marchand. Aux Forges de Vulcain

"Une superbe ambiance dans le métro aujourd'hui: les gens chantaient, tapaient dans leurs mains, se serraient dans les bras, dansaient. Des confettis volaient entre les wagons, des couples s'accouplaient, des paralytiques marchaient, des hôtesses de l'air volaient dans les couloirs, un raton lavait, un valet bavait, un abbé badait, un dadais se dandinait d'un air innocent, les mouches volaient à reculons, les journaux étaient imprimés de toutes les couleurs, les balayeurs vidaient les poubelles sur le sol, les contrôleurs remboursaient les billets et le conducteur n'autorisait la descente des passagers qu'entre les stations. En partant, les passagers s'échangeaient leurs numéros de téléphone se promettant de remettre ça sur la ligne 12 le lendemain."
Qu'est-ce que cet ovni littéraire? Un tourbillon qui vous embarque et vous fait passer du rire aux larmes avec la légèreté  d'une brise d'été.
Pari réussi pour ce premier roman de Gilles Marchand (même si je n'en doutais pas, j'avais été déjà conquise par Le Roman de Bolano, écrit à quatre mains avec Eric Bonnargent et paru en 2015 aux Editions du Sonneur... courez l'acheter si vous ne l'avez pas lu!)
Au centre du récit qui nous intéresse aujourd'hui, le jeu et la mémoire. Le jeu, comme dans "jeu de mots": la langue se plie, se déploie, virevolte sous la plume de Gilles Marchand. 
Jeu, comme dans "jeux de l'imagination": sans être un roman fantastique, Une bouche sans personne prend des libertés avec la réalité et lui donne des formes, des couleurs, des odeurs qui tiennent souvent du rêve. On imagine avec bonheur le "terrain de jeu" que l'immeuble, le quartier, la ville sont devenus le temps de raconter l'histoire d'un homme.
Cet homme, celui qui se présente au lecteur avec cette merveilleuse phrase de début, "J'ai un poème et une cicatrice", l'homme-clé, l'homme-conteur est aussi porteur d'une mémoire.
Lorsque le temps est venu de Dire cette mémoire, la poignée d'amis fidèles qui l'écoutaient au départ devient foule au fur et à mesure que l'histoire avance. Nous comprendrons pourquoi en arrivant à la fin. Mais une fois arrivés là nous serons changés. Irrémédiablement changés.
"Poème et cicatrice font partie de moi au même titre que mes jambes, mes bras ou mes omoplates. Je ne me sens pas tenu de les examiner pour savoir qu'ils existent. J'ai seulement appris à essayer de les oublier."
Une bouche sans personne, Gilles Marchand, Editions Aux Forges du Vulcain, Août 2016

Écrit pour le site des Unwalkers


jeudi 25 août 2016

Le futur Ellory? La où les lumières se perdent, David Joy, Sonatine




"Il existe un endroit où se perdent les lumières, et je suppose que c'est le paradis. C'était ce lieu lumineux que l'Indien observait sur le tableau qu'aimait ma mère, et je suppose que c'est pour ça qu'elle voulait tant y aller. L'endroit où toutes les lumières se rejoignaient et brillaient était dans mon esprit ce qui se rapprochait le plus de Dieu."

Sonatine frappe fort avec la parution du roman de David Joy: nous tenons là un digne héritier de R. J. Ellory, sombre, beau et difficile à laisser derrière soi une fois le livre fermé.

Jacob, le narrateur,  est déchiré entre la malédiction du sang destiné à faire de lui le digne successeur de son caïd de père et la volonté de s'en sortir, aidé par l'amour qu'il porte à Maggie, son amie d'enfance. 

Autant le sujet n'est pas novateur, la quête de rédemption, l'opposition père-fils, faisant partie des thématiques récurrentes en littérature, autant la manière dont il est traité nous fait succomber.

En lisant la confession de Jacob, sa souffrance perpétuelle, le tiraillement constant entre la lumière et les ténèbres, on se surprend à espérer un dénouement positif; on est à ses côtés à chaque instant, lorsqu'il dirige une arme vers son père, lorsqu'il étreint Maggie. 
A partir du moment où un récit éveille une pareille empathie chez son lecteur, le pari est gagné!

Porté par un style maîtrisé où l'ombre et la lumière s'alternent, se chevauchent, Là où les lumières se perdent s'immisce dans la tête du lecteur qui ne voit pas arriver le twist final. Explosif.

J'attends avec impatience le prochain roman de David Joy, il y a fort à parier qu'il occupera une place de choix parmi les nouveaux auteurs de roman noir.

"J'ai jeté un coup d’œil en direction de l'endroit où le soleil illuminait les voitures, projetant une féroce lumière blanche qui aveuglait tous les flics en attente. Ils auraient beau essayer, ils ne comprendraient jamais cette lumière, et je les plaignais."

Là où les lumières se perdent, David Joy, Editions Sonatine août 2016, Traduction Fabrice Pointeau 

Chronique écrite pour le site des Unwalkers. 

dimanche 21 août 2016

Frédéric Fiolof et La Magie dans les Villes



" Je n'ai pas un cœur d'enfant, dit son fils. J'ai un cœur tout court. Un cœur trop court. Les cœurs d'enfant, c'est pour les adultes qui croient avoir perdu le leur. Les enfants n'en ont pas. D'ailleurs, moi aussi j'aimerais bien être toi. Pour trouver enfin mon cœur d'enfant."
Une mise à nue pleine de poésie, La Magie dans les Villes alterne mélancolie et humour, subtile ironie du regard qui embrasse l'existence d'un homme au passé, au présent, et qui la sublime.

J'ai éclaté de rire à plusieurs reprises: les dialogues tendres, parfois absurdes, souvent surréalistes avec les enfants, avec la femme du personnage (alter-égo du narrateur?) sont délicieux, gourmands, irrésistibles.

Mais il ne faut pas s'y méprendre: une sensibilité à fleur de peau, une mélancolie discrète, pudique, habitent chaque fragment du livre et égrènent fragments du passé, visages disparus, temps révolus.
Pendant ce temps, (le temps semble être le vrai personnage central) les enfants grandissent, s'élancent... 
Une réflexion poétique autour de la vi(ll)e, des questions qui n'attendent pas toujours une réponse.
Un livre que je vais offrir souvent. Un vrai cadeau.

La Magie dans les Villes, Frédéric Fiolof, Quidam éditeur, août 2016