« Il s'engagea sur un sentier qui sinuait entre les prés, le ciel bleu et vide occupait tout l'espace. Il longea l'enclos d'une ferme, attentif au crissement de ses pas dans la neige. Il parvenait juste à la hauteur d'un box quand un cheval bondit dans un tel raffut et avec une telle puissance qu'il eut un mouvement de recul, le souffle coupé. L'Appaloosa galopa d'une extrémité à l'autre du pré, virant au plus près des clôtures comme pour battre un record de gymkhana. La buée qui sortait de ses naseaux flottait dans l'air après son passage. Dans un virage, il s'arrêta comme il avait surgi, le tapis sanglé qui le couvrait glissa sur son garrot, un éternuement déclencha un frémissement le long de son poitrail. Tout son corps était enveloppé de vapeur. Il fit demi-tour vers l'écurie avec la mine d'un boxeur qui rentre aux vestiaires, le peignoir mal ajusté, sans souvenir du combat. »
Six nouvelles, six existences
devant six carrefours : Entre les rounds s'arrête sur
ces moments-clé dans la vie où l'on prend son souffle avant une
nouvelle offensive. Les moments où l'on décide si un changement de
stratégie s'impose ou si on garde le cap.
C'est aussi l'occasion de se
rappeler à son bon souvenir en tant qu'individu unique, avec les
rêves, les espoirs et les aspirations que l'on nourrissait avant que
la vie commence à enchaîner ses crochets et ses uppercuts, voir
parfois ses K.O. meurtriers.
Malgré la référence
pugilistique du titre, c'est tout en délicatesse que Rodolphe Barry
fait évoluer ses personnages dans une Amérique consumériste et
obnubilée par sa fuite en avant. Il sont là, au milieu de la
foule, du monde, au centre de leur vie :
« Un speaker annonçait des promotions dans les boutiques de la galerie marchande, les bandes sonores saturées lui vrillaient les oreilles. Il faisait chaud. Partout on allait et venait et les yeux de Sam se mirent à papillonner. Il poussa son chariot jusqu'à un banc devant le marchand de donuts. Des ballons multicolores se balançaient entre les ventilateurs qui diffusaient une odeur d'huile. »
Sam décide : « Ça
y est, le moment est venu pour de bon ! ». Il prend la
route. Il a besoin de temps. Il a besoin d'espace. Il a besoin
d'écrire. Une parenthèse entre ce que la vie aura fait de lui et
celui qui continue d'exister au fond de ses tripes.
Lorsque Wanda part pour deux
semaines dans le Milwakee, son mari se retrouve avec quinze jours de
liberté devant lui. Elle va lui manquer. Il devrait trouver un
boulot, la demande de prolongation des allocations sera à tous les
coups rejetée.
« J'avais du temps devant moi. Quinze jours. Quatorze nuits. Assez pour qu'il se passe quelque chose. Sûr. Il le fallait. »
Son carrefour à lui sera un
homme, l'écrivain qu'il rêve de rencontrer depuis dix ans :
Cormac McCarthy. Et il partira à sa recherche.
Sterling, ange vagabond, fait du
stop sur la Nationale 57. Il part faire les vendanges pour ensuite se
mettre au vert et travailler à son roman. Bud, le routier qui va
l'embarquer n'est pas n'importe quel transporteur et de cette
rencontre les deux sortiront transformés. Le hasard, la route, le
partage.
« C'était peut-être la lumière aveuglante, la poussière mauve, mais l'espace d'un instant, j'ai eu l'impression de voir un aspect caché du monde ou simplement de moi-même. Quelque chose que je n'avais jamais voulu connaître. »
Lumineux, poétique, délicat,
ce recueil de nouvelles est une pure merveille dont on sort apaisé.
Il est traversé de part en part par la certitude qu'il faille
parfois « se mettre en veille », partir pour mieux
revenir, être fidèle à soi-même pour être fidèle à l'autre. Ne
jamais s'oublier.
L'ombre de Cormac McCarthy plane
sur l'ensemble des textes, accompagnée par la voix enveloppante de
Johnny Cash. En toile de fond...
« …
la silhouette d'Henri Fonda au volant d'un camion en panne au bord
d'une portion escarpée de la Route 66. Le cambouis qui lui couvrait
le visage renforçait la clarté de son regard. »
Superbe !
« Entre les rounds »,
Rodolphe Barry, Editions Finitude 2016
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