L'un
des bouquins qui m'ont le plus marquée et qui est resté gravé dans
ma mémoire même vingt ans plus tard, a été Beatles
de Lars Sabbye Christensen. C'était l'histoire de quatre gamins,
Ola, Gunner, Kim et Seb qui grandissent dans la Norvège des années
1960 en vouant un culte sans limites, vous l'aurez compris, aux
quatre garçons dans le vent de Liverpool.
Plus
qu'un roman du type « coming out of age », Beatles
est la fresque d'une époque magnifique, les 60's occidentaux avec
tout ce que cela implique en terme de musique, culture,
revendications, aspirations, un univers mythique à mes yeux
d'adolescente roumaine à l'époque où je l'ai lu pour la première
fois.
Si
je vous en parle c'est parce que je viens de lire Metal
de Janis Jonevs, paru en ce début d'année aux éditions Gaïa. Et
qu'il m'a rendue heureuse. Cette fois-ci, contrairement au roman de
Christensen, ce sont les années 1990 qu'on traverse. Les années
1990 en Lettonie (qui venait tout juste de prendre son indépendance
par rapport à l'URSS). Ce n'est plus la fresque d'une époque que
j'aurais fantasmée, mais celle d'un temps que j'ai connu, vécu,
exploré.
« J'étais arrivé au morceau décisif. Première écoute, stop, sortie de la cassette, rembobinage à la main avec un stylo pour ne pas vider les piles. Deuxième écoute. On ne parle que de moi dans cette chanson. Moi aussi je suis silencieux et triste, et je passe mon temps ''At home drawing pictures'', tout colle avec moi, sauf que je n'ai pas encore quinze ans. Pas grave, j'attendrai un peu. Si personne n'est capable de savoir ce qui se passe à l'intérieur de mon être, je vais étaler le contenu de mon cerveau devant moi, pour qu'ils comprennent. Et en plus, ce sera une belle manière de répondre à ce que dit la chanson. Et alors , on réalisera ce qui était vraiment important pour moi. Tous ceux de la classe.
- ''Jeremy spoke in class today.''
Il s'agit de cette formidable époque où la musique
était l'élément central de toute vie adolescente : un nouvel
album, un nouveau groupe, un nouveau courant musical et tout s'en
trouvait bouleversé.
Et pour le narrateur de Metal le
bouleversement commence en 1994 avec la mort de Kurt Cobain :
« Mais ce coup-là, en avril 1994, notre vie à nous venait de se fendre en deux.
Il allait falloir laisser passer quelques jours pour en prendre toute la mesure. Pour trouver intuitivement une explication dans des coupures de journaux réunis en vrac à propos de musiciens à l'allure repoussante, dans un intérêt purement théorique et moralement réprimé pour les substances psychotropes, dans un esthétisme dépressif et un chemin tout tracé vers un lieu où se croisent les trajectoires à la dérive. En attendant, je me sentais tout bizarre. Différent. »
Le premier sentiment d'appartenance à un groupe, envers
et contre tous, Janis l'éprouvera au contact de la musique :
Nirvana et toute l'école de Seattle d'abord pour aller crescendo
vers le death métal, le doom et le black métal.
Dans un pays en transition comme la Lettonie
post-communiste ce ne sont pas des comportements qui passent
inaperçus : qu'il s'agisse de la musique, de la dégaine, des
cheveux, tout peut constituer une passerelle vers l'autre, semblable,
incompris ou, au contraire, une preuve de défi envers une société
qui se réveille doucement après des années de sédation.
Les premières cuites (vive la vodka!), les premiers
concerts, les rêves de fonder un groupe ; la chasse aux
nouveaux enregistrements sur cassettes vierges et l'échange entre
potes des dernières trouvailles ; la reconnaissance mutuelle
entre deux métaleux se croisant dans le bus, dans la rue ou que
sais-je où encore... tout y est ! L'espoir que la vie sera
différente, parce qu'on peut choisir une autre voie que les masses.
Metal
est
bien plus qu'un roman sur l'adolescence et le rock : c'est le
roman d'une génération, celle qui a ouvert les yeux sur
Headbanger's Ball, qui cherchait son salut dans la musique et la
création, qui dépouillait la presse spécialisée des pages
entières d'articles et de photos pour en faire de véritables
encyclopédies musicales, une génération qui espérait faire
tellement mieux que leurs parents.
Oui,
il m'a bien foutu le bourdon, Metal,
mais il m'a aussi collé un gros sourire aux lèvres : cette
fois-ci je peux dire, j'y étais !
Metal,
Janis Jonevs, Traduction Nicolas Auzanneau, Gaïa Editions 2016
Beatles,
Lars Saabye Christensen, Traduction Jean-Baptiste Coursaud, Editions
10/18 2011
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