« Je savais que ça risquait d'être la fin pour moi, mais je n'allais pas me rendre sans combattre, voyez-vous, j'avais le Père et le Soldat et le Rat Christ à mes côtés, la Sainte Trinité, alors j'utilisai le tisonnier pour faire voler en éclats la fenêtre de derrière, puis je fis passer mon corps, le verre brisé m'entailla la chair, et je les entendais, devant la porte d'entrée, et chaque mouvement de ma respiration était un hurlement terrifié, moi seul savais que chaque arbre était un cadavre assassiné, gelé pour toujours avec les membres distordus, moi seul savais que le ciel tourbillonnait d'esprits torturés et d'anges déchus, moi seul savais que la terre était prête à s'ouvrir et à m'engloutir dans sa gueule, et d'où venait cette musique, cette musique étrange, un doo-wop funeste provenant des enceintes détraquées d'un transistor. »
Jon Bassoff réussit l'exploit de rendre poétique un
récit qui vous prend aux tripes. « Corrosif » ne
se réduit pas qu'à un titre, ce n'est pas la pub mensongère d'un
texte finalement facile ou surfait.
Non : il se désintègre
sous vos yeux en vous laissant grelottant, saisis de sueurs froides,
en priant de toutes vos forces de ne jamais croiser dans votre vie un
type comme celui qui s'adresse à vous pendant les 227 pages de ce
roman.
Lorsque Joseph Downs, le narrateur, commence son récit,
le piège se referme sur vous dès la première page : un
pick-up en panne, au milieu de nulle part, « un bled paumé
se trouvait juste un peu plus loin, entouré de derricks et de silos
à céréales. […] La ville s'appelait Stratton, et n'avait rien de
spécial. Juste des bâtiments en brique et des bungalows décrépis
et des bicoques de pauvres, le tout posé au hasard par Dieu après
deux semaines de beuverie. La vieille université se raccrochait
désespérément à la vie. Supérette abandonnée, station-service
abandonnée, motel abandonné. Des panneaux rouillés et des fenêtres
condamnées. »
Joseph est une gueule cassée : vétéran d'Irak,
son visage brûlé semble être l’œuvre du diable – c'est
lui-même qui le dit ; peut-être n'a-t-il pas tout à fait
tort. Il attire tous les regards pour mieux les rejeter dans
l'instant qui suit. Répugnant.
Dans le bouge où il rentre prendre un verre ce soir là
les réactions sont les mêmes. Il s'en fout. Et peut-être qu'il en
serait resté là, avec sa bière et l'adresse d'un motel miteux pour
la nuit, s'il n'y avait pas eu Lilith, « créée de
l'argile ». Elle fait irruption dans le bar, carbure au
whiskey-bière et se fait tabasser par son mari. Mais elle est
coriace et ça plaît à Joseph qui intervient en chevalier servant.
Noir, noir je vous dis, ce roman : l'ambiance poisseuse, les cauchemars de Joseph, sa première nuit avec Lilith, tout est fait pour vous mettre mal à l'aise. Et vous en redemandez. La plume de Bassoff qui donne à son personnage une voix glaçante, coupante, qui vous raconte son histoire en n'oubliant aucun détail, même le plus abjecte, vous garde enchaînés jusqu'au bout.
Le Bien et le Mal n'ont aucun sens dans ce roman où la folie la plus terrible côtoie la mystique biblique, se l'approprie, pour finalement créer un monstre.
Vous pensez que la rencontre entre Joseph, le vétéran
paumé et Lilith, la femme battue est le début de l'histoire ?
Vous vous trompez. Allez voir !
Encore une preuve, s'il en fallait une, que Neonoir joue
dans la cour des grands.
« Corrosion »,
Jon
Bassoff, Traduction Anatole Pons, Editions Gallmeister, Collection
Neonoir, 2016
Publié sur la page des Unwalkers
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