vendredi 23 janvier 2015

AMERICANAH! A dévorer!

Il y a des romans captivants, des romans fatiguants, des romans angoissants, des romans qui font rêver, de ceux que l'on veut oublier, d'autres encore que l'on aime relire régulièrement (en ce qui me concerne Belle du Seigneur, on ne se refait pas... ) et puis, de temps en temps il y a Le Roman!



Un nom: Chimamanda Ngozi Adichie. Je n'avais pas lu ses précédents livres (elle a déjà publié deux romans, L' Hibiscus pourpre et  L'autre moitié du soleil   et un recueil de nouvelles,  Autour de ton cou ) mais je connaissais, sans le savoir, sa voix. En effet, nous l'entendons sur "Flawless", une des chansons de l'album surprise " Beyoncé " lancé à la fin 2013, chanson qui inclut de nombreux fragments du discours "Nous devrions tous être féministes", prononcé par Chimamanda Ngozi Adichie en avril 2013.






Le discours est paru dans son intégralité chez Folio, dans la collection 2€, au mois de février 2015, je ne saurais trop vous conseiller de courir vous le procurer!



 Americanah , paru aux édition Gallimard le 31 décembre 2014 est un roman puissant, vivant,
d' une force narrative exceptionnelle. Le talent de l'auteur est indéniable car il est impossible de lâcher ou de perdre le fil de l'histoire même si la construction du récit est très complexe.
Il s'agit de l'odyssée d' Ifemelu, jeune Nigériane qui va quitter son pays pour poursuivre des études aux Etats Unis. Elle abandonne sur place ses parents, son monde et son amour de jeunesse, Obinze.
L'apprentissage de la vie à l'américaine ne se fera pas sans heurts: un abîme sépare les deux mondes.
Ifemelu commence par apprendre qu'elle est noire. Aussi absurde que cela puisse paraître, pensez-y, c' est évident: au Nigéria elle est Nigériane, en Amérique elle est Noire 
( remplacez Amérique par n' importe quel pays en Europe, je pense que ça doit marcher aussi ).
Que les choses soient claires: ce n'est pas un roman à charge. Le problème du racisme est largement abordé, tout comme la position pour le moins inconfortable du statut d'immigré. Mais le titre du roman est "Americanah", ce qui représente au Nigéria les personnes ayant passé un certain temps aux Etats Unis et qui reviennent au pays remplis 
d' une autosuffisance qui les rend ridicules...
Revenons-en à Ifemelu. Pour faire sa connaissance j'ai choisi un extrait qui traduit assez bien, je trouve, la situation au tout début de sa vie américaine. Cela se passe lors de son inscription à l' université:



" - Bonjour. Est- ce ici que l' on s'inscrit? demanda Ifemelu à Cristina Tomas, dont elle ne connaissait pas encore le nom.
- Oui. Maintenant. Vous. Etes. Une. Etudiante. Internationale?
- Oui.
- Vous. Devez. D'abord. Avoir. Une. Lettre. Du. Bureau. Des. Etudiants.Internationaux.
Ifemelu esquissa un sourire de sympathie car Cristina Tomas devait souffrir d' un genre de maladie qui l' obligeait à ralentir son élocution (...). Mais quand Ifemelu revint avec la lettre, Cristina Tomas dit: " J' ai. Besoin. Que. Vous. Remplissiez. Deux. Formulaires. Vous. Savez. Comment. Les. Remplir? " et elle comprit que Cristina Tomas parlait ainsi à cause d' elle, de son accent étranger, et elle se sentit un instant pareille à un enfant, ralentie et balbutiante.
- Je parle anglais, dit- elle.
- J'en suis sûre, dit Cristina Tomas. Mais j'ignore simplement si vous le parlez bien.
Ifemelu se contracta. ( ... ) Elle se replia sur elle même comme une feuille morte. ( ... ) Et dans les semaines qui suivirent, tandis que tombait peu à peu la fraîcheur de l' automne, elle s' entraîna à prendre un accent américain." 
Ainsi commence donc la vie d'étudiante d'Ifemelu. Pas de place pour le pathos ou l'auto-victimisation chez Chimamande Ngozi Adichie. Son personnage avance malgré tout, elle constate, en tire des leçons, lève la tête, lève la voix:
      "  A mes camarades noirs non américains:
          En Amérique, tu es noir, chéri





Cher Noir non-américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L' Amérique s' en fiche. ( ... ) Tu dois répondre par un signe de tête quand une personne noire te fait un signe de tête dans un environnement majoritairement blanc. Ca s' appelle le salut noir. ( ... ) Si tu es une femme, ne dis pas ce que tu penses comme tu le ferais dans ton pays. Parce qu'en Amérique les femmes noires qui réflechissent font PEUR. ( ... ) Si tu racontes à un non-Noir  l'incident raciste dont tu as été victime, ne montre aucune amertume. Ne te plains pas. Sois indulgent. Si possible, drôle. Avant tout, ne te mets pas en colère. Les Noirs ne sont pas supposés s' emporter sur des questions racistes. Sinon tu n'attires pas la sympathie." 

Etre  l'Autre  dans un pays qui n' est pas le sien implique de se soumettre à toute une série de représentations que le habitants du pays concerné véhiculent en se référant à vous. L'idée est en somme de ne surtout pas être soi-même mais de devenir ce que l' on attend que vous soyez.
Cela paraît compliqué, non?
Ifemelu passe treize ans aux Etats Unis. Elle finit par créer un blog, " Observations diverses sur les Noirs Américains (ceux qu' on appelait jadis les nègres) par une Noire non américaine "
Elle observe, analyse, dissèque, conseille. Elle est invitée à des conférences, des tables rondes.
Sort avec Curt, un Blanc, avec Blaine, un universitaire noir. Obinze, l'amour de jeunesse, tapi quelque part au fond d' elle, a été vaicu par l'expérience américaine. Elle suit l'élection d' Obama.
Mais il manque toujours quelque chose. Ifemelu n' arrive pas, ne peut pas être heureuse.
Et c' est à ce moment que nous la rencontrons: le roman s'ouvre sur Ifemelu qui va dans un salon de coiffure pour faire tresser ses cheveux. Elle a pris depuis peu la décision de rentrer au Nigéria, sans trop savoir pourquoi. Elle sent qu'il est temps de rentrer. D'abandonner sa vie américaine, son compagnon américain, son blog, tout.
Le salon de coiffure représente le temps présent du roman: pendant qu'elle écoute d' une oreille distraite les bavardages des coiffeuses ( tout un monde, là aussi! ) elle se souvient le passé, son arrivée aux Etats Unis, les années qui ont suivi, mais il y a de la place pour un passé imparfait aussi, la vie au Nigéria, avant son départ, vie qui ne demande qu'à reprendre.  C'est dans ce salon de coiffure qu' elle se projette timidement dans l'avenir: "Puis, renonçant à toute prudence, elle rédigea un e-mail pour Obinze et l'envoya aussi sec, sans prendre le temps de le relire." 
Comme je vous le disais au début, la construction du roman est complexe mais réalisée avec une maîtrise absolue, la lecture est fluide et très agréable. La narration est parsemée par les billets qu' elle publie sur son blog, acides, vivants, on en entedrait la voix de l'Ifemelu!
Il y aurait encore beaucoup à dire mais je vais juste rajouter une chose: ne passez pas à côté de ce roman, ce serait vraiment, vraiment dommage!



Americanah, Chimamanda NGOZI ADICHIE, Gallimard, 2014

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