jeudi 2 juin 2016

Bella Ciao, Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi, Agullo




« Commissaire, vous le voyez, le Pô ? Ses eaux sont toujours lisses et calmes, mais en profondeur il est inquiet. Personne n'imagine la vie qu'il y a là-dessous, les luttes entre les poissons dans les flots sombres comme un duel dans le noir. Et tout change continuellement, selon les caprices du courant. Personne parmi nous n'imagine le fond avant de s'y être frotté et la drague fait un travail toujours provisoire. Comme tout ici-bas, vous ne trouvez pas ? »

Le titre ne ment pas : l'ambiance de ce roman est humide et froide, on y est balancé dès les premières lignes et on y reste, impuissant lecteur, frissonnant, même si l'on est blotti dans son canapé.

Le Pô traverse l'Italie sur toute sa largeur, depuis le Piémont jusqu'à l'Adriatique. Il est le personnage principal du roman, celui qui donne le ton à chaque bouleversement dans le fil de la narration. Le Fleuve des Brumes.

Lorsque nous faisons sa connaissance, il pleut depuis quatre jours : beaucoup plus de pluie qu'il ne peut tolérer. Il gonfle, il pousse, il grimpe. Des hommes suivent l'évolution des eaux à partir du cercle nautique du village. Plus curieux qu'inquiets : ce sont des bateliers, leur relation au fleuve est basée sur le respect et l'expérience d'une vie entière à naviguer sur ses flots. Barigazzi. Vernizzini. Torelli. Ghezzi. Leur calme tranche avec les ordres d'évacuation imminente que la Préfecture fait transmettre en cette nuit de déluge.
Un incident finira par provoquer l'inquiétude même parmi eux : la péniche de Tonna Anteo, quatre-vingts ans, batelier de son état, prend la route sous le regard abasourdi des quatre compères. Personne ne sait qui est à bord, la lumière s'allume et s'éteint. Et le fleuve qui continue de monter.
La péniche sera retrouvée vide. Plus de trace de Tonna.

Le lendemain matin un homme de soixante-seize ans est trouvé défenestré dans la cour d'un hôpital. Soneri, le commissaire en charge de cette enquête pencherait volontiers pour un suicide sauf que le défenestré s'appelle Tonna Decimo et que les journaux parlent déjà de la mystérieuse disparition d'un autre Tonna, Anteo.
«Deux frères au centre de deux affaires à quelques kilomètres de distance. L'un qui vole par la fenêtre, l'autre qui disparaît alors que sa péniche dérive le long du fleuve en crue. Il se figura le Pô et toute cette eau lui rappela qu'il pleuvait sans trêve depuis cinq jours. »
Les Tonna partagent beaucoup plus qu'un lien de sang : ils ont en commun un passé de militants fascistes pendant et après la seconde guerre. Et cette vallée de Pô a été un lieu important pour la résistance :
« Notre terre a été une zone de frontière, il y en avait qui s'enfuyaient et d'autres qui passaient le fleuve pour rejoindre leurs pairs. Des gens égarés et souvent peu dignes de confiance. Des fascistes de la République de Salò déguisés en résistants. Des résistants déguisés en Chemises noires, des personnes jouant un double jeu, des espions... Nous en avons vus de toutes les couleurs. »


Commence alors une enquête qui progressera au fil de la descente des eaux du Pô. Est-il possible que des faits ayant eu lieu cinquante années auparavant puissent avoir encore des conséquences ? La plupart des résistants sont morts. Les anciennes Chemises noires se sont rachetées une conduite et se sont rendues « fréquentables ». Le commissaire Soneri est obligé de remuer des tas d'ossements, des souvenirs douloureux. Et pendant ce temps les eaux qui baissent en dévoilant de plus en plus leurs secrets...

Le Fleuve des Brumes est une réussite absolue : au-delà de l'intrigue qui met face à face passé et présent dans un combat muet, l'écriture est absolument superbe ; la métaphore de l'eau, toujours présente et les descriptions somptueuses de cette vallée du Pô pleine de mystères constituent un véritable plaisir de lecture qui devrait convaincre même les lecteurs qui n'ont pas l'habitude du polar.
Mention spéciale pour les clins d’œil gastronomiques et oh combien appétissants !
Vivement le prochain Soneri aux éditions Agullo !


Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi, traduction Sarah Amrani, Editions Agullo 2016

Publié chez les Unwalkers!

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