lundi 7 mars 2016

Magic Time... A quelques kilomètres de Selma... A quelques encablures d'aujourd'hui

"Je sais que certains d'entre vous se demandent aujourd'hui: Combien de temps va-t-il falloir attendre? Je viens vous dire cet après-midi que le moment a beau être difficile, l'heure frustrante, ce ne sera plus long, car la vérité piétinée se relèvera bientôt."






« Pour Carter, c'était un drôle de paradoxe de devoir se faire expliquer son Etat natal par une New-Yorkaise, alors qu'il avait vécu là toute sa vie. Il commençait à prendre conscience de tous les préjugés avec lesquels il avait grandi. Autour de lui, il était admis que personne n'était '' responsable '' des souffrances des Noirs du Mississippi, à part les Noirs eux-mêmes, que la ségrégation faisait partie de l'ordre naturel des choses et qu'il était inutile de tenter d'y remédier »

Librement inspiré de l'affaire du « Mississippi burning », Magic Time revient sur les années de lutte pour les droits civiques aux Etats Unis et le déchaînement de violences sordides que ces combats ont dû affronter.

En juin 2005, Edgar Ray Killen, ancien responsable du Ku Klux Klan était enfin condamné pour avoir commandité l'assassinat de trois militants pour les droits civiques, 41 ans après les faits. James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner faisaient partie des centaines de jeunes descendus dans le sud des Etats Unis à l'été 1964 pour aider les citoyens Noirs à s'inscrire sur les listes électorales. Portés disparus, leurs corps présentant des marques de lynchage, avaient été retrouvés 44 jours plus tard.

Doug Marlette construit son roman autour de ce drame. En se servant de Carter, le personnage principal, il alterne le temps de la narration entre le présent de la réouverture du procès et le passé des faits.
Carter est journaliste chez New York Examiner. Sa vie a déjà l'air d'être sens dessus dessous au moment où un attentat à l'Institut d'Art Moderne suivi par une visite aussi inattendue qu'éprouvante le mettent KO. Son burn-out l'oblige à rentrer chercher le repos sur les terres natales, à Troy, Mississippi. Sauf que.

« Sally avait laissé le Troy Times à côté du lit. Carter lut ce qui concernait la libération de Lacey Hullender. En première page figurait un portrait de Mitchell Ransom vieux de vingt ans, du temps où il avait condamné Hullender à la réclusion à perpétuité. Il y avait une autre photo : la jeune femme du bureau du procureur qui avait rouvert l'affaire. L'article rappelait une fois de plus que Hullender et un autre membre du Ku Klux Klan, Peyton Posey, avaient été emprisonnés alors que Bohannon avait été relâché faute de preuves. Posey était mort derrière les barreaux. Et quand Hullender avait demandé sa libération anticipée, l'Etat avait déclaré qu'il ne s'y opposerait pas, si la commission d'application des peines rendait un avis favorable. »

Comme dans l'affaire de Mississippi Burning, on parle de la réouverture d'un procès qui, pour des raisons inexpliquées, n'avait pas poussé jusqu'au bout les recherches et les condamnations de tous les coupables. Carter en est partie prenante pour deux raisons : fils du juge qui avait instruit ledit procès et victime collatérale de l'incendie criminel de l'église qui avait vu périr quatre activistes.

Magic Time est un écrit de la résilience. Carter commence par prendre conscience de l'absurdité et de la violence du milieu dont il est issu – blanc, bourgeois, sudiste – en commençant à fréquenter le Magic Time, Quartier Général des activistes militant pour les droits civiques.
Des prémices de rébellion commencent à pointer chez lui lorsqu'il décide d'abandonner les études de droit auxquelles il était destiné par sa lignée, pour se consacrer au journalisme. Magic Time acheva de lui ouvrir les yeux. Grâce à l'amitié d'Elijah Knight, figure quasi- messianique, activiste coriace et l'amour de Sarah Solomon, jeune New-Yorkaise venue dans le Sud pour mettre sa pierre à l'édifice de l'été de la liberté, Carter Ransom réalisa son passage à l'âge adulte en transgressant le déterminisme de classe auquel il aurait pu céder.

Résilience encore lorsque 25 ans plus tard il doit revivre le traumatisme de l'été 1965 pour, cette fois-ci, pouvoir le dépasser.
« Carter pensa à Sarah, à toutes ces jeunes femmes et ces jeunes gens courageux et lumineux qui étaient venus chez lui, dans le Sud, un siècle après ce conflit meurtrier,[ la Guerre de Sécession ] et qui s'étaient offerts en sacrifice pour une vérité qu'ils estimaient plus importante que leur vie. Des gens qui l'avaient transformé. »

Doug Marlette n'est, malheureusement, plus des nôtres. D'ailleurs Pat Conroy, l'un de ses meilleurs amis, vient de le rejoindre.
Magic Time est son premier roman traduit en France.

Magic Time, Doug Marlette, Editions du Cherche Midi 2016, Traduction Karine Lalechère



Publié sur la page des Unwalkers.




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