lundi 21 mars 2016

Bull Mountain, Une magnifique pépite très très noire chez Actes Sud



« Pour la dernière fois, dit Hal. Fais demi-tour, monte dans ta caisse et oublie-moi, ou je te jure, Clayton, que je balance ton cadavre dans le ravin en pâture aux ratons laveurs.
Clayton n'entendit pas vraiment la menace car il essayait de se rappeler quand son frère l'avait appelé par son prénom pour la dernière fois. Ça remontait à l'époque où ils étaient gamins. Il soutint le regard de Halford et n'y vit rien d'autre qu'une rage vaine qui bouillonnait comme les nuages noirs que les vieillards avaient dû voir.
[ … ] Hal était toujours le mec qui pouvait s'asseoir et siffloter tranquillement pendant que ses ennemis étaient en train de brûler vifs attachés à un arbre à cinq mètres de lui. Clayton était presque prêt à croire que son frère pourrait le tuer lui aussi. »

26 chapitres valsés presque sur un pas en avant, l'autre en arrière. Une valse temporelle sombre et poisseuse que les habitants de Bull Mountain commencent pour vous en 1949 sous la houlette d'un narrateur omniscient qui dirige l'orchestre d'une main de maître.

26 chapitres qui, de décennie en décennie, laissent tomber les linceuls qui enveloppent le clan Bourroughs depuis le crime originel qui aura fait d'eux une lignée maudite.

Un seul parmi eux a eu le courage d'essayer de briser les chaînes : Clayton Burroughs, dernier de la lignée. C'était sans compter avec la malédiction irréversible qu'un fratricide impose à la famille qui en est frappée.

Clayton est devenu shérif dans la vallée surplombée par la montagne où ses frères, comme auparavant leur père et leur grand-père, règnent en maîtres tout-puissants. Le trafic d'alcool a seulement été remplacé depuis par celui de cannabis et de méthamphétamines. Les Burroughs et leurs sujets forment une petite armée autogérée. Leur came se déverse sur plusieurs états, leurs partenaires privilégiés se trouvent en Floride. Personne ne touche aux Burroughs, encore moins le frère qui a choisi le camp ennemi.

« Parce que tu crois que je suis venu pour papoter ? J'en ai fini de parler avec toi. La seule raison pour laquelle tu es encore dans cette vallée à jouer au shérif, c'est parce que je le permets. Si tu es encore en vie, c'est parce que je le permets. Tu penses avoir du pouvoir ? Tu penses que tu peux me la faire à l'envers ? T'as pas idée du pétrin dans lequel tu t'es fourré, frérot. »

Naître et grandir dans une pareille famille ne vous laisse pas en sortir indemne. Clayton arrive à maintenir un équilibre assez précaire grâce, entre autres, à Kate, sa femme, une belle femme coriace qui est déterminée à faire suivre une autre route à l'éventuel prochain descendant Burroughs. Comme tous les hommes dans sa famille, Clayton a l'alcool mauvais. Mais il arrive à rompre même ce lien malté et le jour où nous le rencontrons, cela fait un an qu'il préserve son abstinence.

Simon Holly, agent de l'ATF, débarque un jour dans le bureau du shérif pour lui laisser entendre qu'il y aurait une possibilité de faire sortir de la course le dernier frère Burroughs en vie, sans trop de casse. A Clayton de se charger des négociations.

Sur ce premier plan narratif situé en 2015, se greffent des flash-back qui déconstruisent le passé des Burroughs jusqu'à ce que nous, lecteurs, soyons en mesure de le reconstruire pour mieux saisir les enjeux du présent.

Rye, Cooper, Gareth, Halford, Clayton, autant de branches sur un tronc pourri par la racine. La question est : y a-t-il une possibilité de rédemption ? Comment dépasser sa condition lorsqu'elle est marquée par le sceaux du péché originel ?

En lisant ce roman, ces questions tourneront sans cesse dans votre tête parce qu'ici tout a un sens et plus vous avancerez dans la lecture, plus vous comprendrez la profondeur de ce sens.

Bull Mountain est un roman d'une noirceur magistrale. Brian Panowich a très bien fait de se mettre à l'écriture, son talent est indiscutable. On a dû le lui faire savoir d'ailleurs, il est en train de préparer la suite de ce premier opus ! Et ça, c'est une super nouvelle.

« Elle songea plusieurs fois à changer de direction, à partir vers un nouvel endroit. […] Elle maintint le cap vers Bull Mountain. C'était chez elle. »


Bull Mountain, Brian Panowich, Trad. Laure Manceau, Actes Sud 2016
Publié sur le site des Unwalkers



2 commentaires:

  1. C'est vrai qu'il est incroyable! Maintenant...c'est malin, on n'a plus qu'à patienter en attendant la suite:-)

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