lundi 25 mai 2015

Un été 42, Une réédition chez La Belle Colère

Une île de la Nouvelle Angleterre, le vent, la plage, un visiteur qui revient sur des lieux depuis longtemps enfouis entre les plis de sa mémoire. Les chaussures à la main, ses pieds redécouvrant le sable maintes fois foulé des années auparavant, une chanson le rattrape....



... et trois silhouettes se dessinent au loin, se bousculant, s'appelant, trois revenants. Parmi eux, cet inconnu, chaussures à la main, Hermie, à 15 ans. Et nous voilà plongés jusqu'aux oreilles dans le fameux été '42.
Si l'incipit du roman est tellement cinématographique, ce n'est pas une coïncidence: Herman Raucher a écrit ce récit en même temps qu'il écrivait le scénario du film homonyme, sorti en 1971. La Guerre de Corée avait eu la peau de son ami d'enfance, Oscy, et Raucher entend lui rendre hommage, à sa manière, en partageant avec le monde les souvenirs de cet été qui les avait bouleversés tous les deux.

Une autre guerre préoccupait les esprits à l'époque, la seconde guerre mondiale, et nombre de jeunes américains y participaient. Les parents d'Hermie, Oscy et Benjie avaient décidé de s'éloigner du bruit du monde le temps des vacances sur l'île de Nantucket. Les trois garçons y sont inséparables.

" Ils s'étaient baptisés le Trio Terrible mais sans aucune raison définissable, essentiellement pour se gonfler un peu eux-mêmes, pour établir en quelque sorte leur place sur la planète. Ils étaient là, couchés sur la dune au-dessus de laquelle se dressait la vieille maison, Beau, John et Digby Geste, les Diables du Désert avec de l'acier dans le coeur et du sable dans leurs shorts. "

Sur la plage de l'été de ses quinze ans, le narrateur voit défiler le film de cette époque où lui-même "était douloureusement à cheval sur le fil de fer barbelé qui séparait l'enfance de l'état d'homme. Pour un psychologue le côté où il allait tomber était peut-être d'une évidence criante mais pour Hermie rien n'était plus douteux. "  
La tendresse du regard dont Herman enveloppe Hermie est l'un des points forts du roman. Non seulement il se met à la hauteur du gamin, mais il le couve, lui et ses deux amis, quel que soit le ridicule de certaines maladresses inévitables à l'âge adolescent. 
" Hermie était un spécialiste de l'inquiétude et de la souffrance. Jamais quelqu'un n'avait su souffrir et s'inquiéter comme lui. C'était merveilleux. "  Cette ironie bienveillante est une constante dans le récit et c'est elle qui dédramatisera nombre de situations parfois inconfortables. Le lecteur n'a d'autre choix que d'en rire, et on rit beaucoup en lisant " Un été 42 ", je vous le garantis!

Si Hermie est la raison, Oscy se trouve dans l'action, souvent brutale, toujours spontanée. "Oscy avait perpétuellement un air de méditer un tour, une chaleur indestructible et un genre bien à lui de virilité juvénile qui présageait un homme sûr de lui-même et à l'abri des intempéries. Oscy, c'était quelqu'un."
Hermie et Oscy, meilleurs amis, sont talonnés par Benjie, sorte de faire valoir gaffeur et innocent chez qui l'enfance préserve encore jalousement ses quartiers.
A eux trois, ils prennent à bras le corps la grande inconnue appelée Adolescence: leurs shorts en sont témoins. Dans leur course effrénée vers les premiers ébats amoureux ils vont se prendre les pieds dans un livre médical volée chez la maman de Benjie et qui leur dévoilera plus que nécessaire quant aux mystères du corps humain:
"Oscy attrapa le livre et se mit à hurler d'un ton dément: "Les préliminaires! On appelle ça les préliminaires! Tout le monde enlève ses vêtements et on commence les préliminaires! Alors il lui fait ça!" Il passait furieusement d'une photographie à l'autre : "Et elle, elle fait ça! Et lui il fait ça! Et ils se retrouvent tous les deux en train de baiser!" Il referma le livre d'un geste si sec qu'on aurait dit un mortier de tranchée: "Qu'y a-t-il de plus simple que ça!" Oscy était vraiment parti. Benjie était terrifié. Hermie était surpris. Mais Oscy avait complètement perdu la tête. Il arpentait le poulailler comme Groucho Marx en pleine crise. (...) Des larmes montèrent aux yeux de Benjie. Quelque chose d'autre monta dans le jean de Hermie. Oscy leur chef ne les trahirait pas. Aujourd'hui les préliminaires, demain le monde."
Ils rencontreront aussi de vraies filles, Miriam et Aggie, qui accompagnent Oscy et Hermie au cinéma lors de la première rencontre, ensuite à un pique-nique nocturne et mouvementé. Les scènes sont hilarantes et néanmoins extrêmement touchantes.
Mais le coeur du souvenir est la première histoire d'amour de Hermie. Car tout au long de cet été 42, une silhouette, un visage hanteront les pensées du jeune personnage. Elle, dont il ne connaîtra le nom que tardivement, elle, dont le mari est parti à la guerre, elle, qui de la hauteur de sa vingtaine est plus âgée que Hermie.
" La maison? La maison était celle où Elle habitait. Et rien, depuis le premier instant où Hermie l'avait vue, ni personne qui était passé sur son chemin depuis n'avait été pour lui aussi terrifiant et aussi troublant ou aurait pu faire plus pour le rendre plus sûr de lui, plus incertain, plus important et plus inexistant."

Un été 42 n'a rien à envier aux autres romans de la grande famille des "coming of age" - Tom Sawyer et Huckleberry Finn, Holden Caulfield, Daniel Price, ou plus récemment Theo dans le Chardonneret de Donna Tartt, tous des hommes en devenir aux prises avec les questionnements et les peurs liés à l'âge adulte. Je l'ai dévoré et il m'a fait passer du rire aux larmes à la rapidité d'une montagne russe. C'est le roman qui nous rappelle à toutes et à tous que l'enfant que nous étions n'est jamais très loin.


Un été 42, Herman Raucher, traduit par Renée Rosenthal
Editions de La Belle Colère, mai 2015


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