lundi 9 novembre 2015

Julie's way, Les Millennials - Avant-Première


"Sur le chemin du retour, Oliver a demandé quand on remettrait ça. En apprenant que j'allais sur mes trente ans, il m'a sorti: "Don't worry, Niki. The best is yet to come."
Les meilleures années restaient à venir. Le pronostic sous serment du docteur Oliver. A le regarder, pourtant, on en aurait douté. Trente-cinq  piges seulement et déjà le cheveu qui se faisait rare. Un bataillon de rides au coin des yeux, le regard qui flotte à l'horizon comme le marin sur son bateau. Et droit devant, la vaste étendue bleue qu'on a appris à connaître, à craindre, à respecter.
Depuis trois ans qu'il était ici, Oliver, jamais une fois il n'avait eu l'idée de retourner à Salzbourg, voir si on se souvenait un peu de lui. Pareil pour Maria et son village des Asturies. Pour eux, ce serait ici ou rien."
Nicolas, le narrateur de ce roman mouvementé et cosmopolite, et son meilleur ami, Yann, décident d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs qu'en France: le premier part pour Londres, le second au Japon. A les entendre, on penserait qu'ils sont conduits par les mêmes raisons à choisir l'expatriation: l'ennui, la "décadence" à la française, l'envie d'autre chose.
Sauf que. Nicolas est amoureux de Julie, la petite soeur de Yann depuis leur adolescence. En partant pour Londres, il espère retrouver la trace de cette fille qui avait quitté sa famille et son pays en claquant la porte le jour de ses vingt ans.
Quant à Yann, nous n'en savons pas plus: prendre le large semble être tout ce qui lui importe pour le moment. Loin des faire-part de naissance, des mariages, de toute une vie plan-plan qui a l'air de convenir furieusement à tout un tas de collègues et connaissances autour d'eux.
"Où ça avait coincé? Telle est bien la question. Peut-être dès le collège, ou bien avant, dans le ventre de nos mères qui se dandinaient du bassin en écoutant Polnareff. Une goûte de rosé tombé dans le placenta par mégarde et pouf, la catastrophe. Vingt-neuf ans après, au baptême de la fille d'un pote, on voit fleurir les Handycam de tous les côtés de l'église et on se demande au milieu des flashs quand le cauchemar va s'arrêter."
La particularité de Julie's way , outre le ton faussement désinvolte qui alterne humour irrésistible et moments de mélancolie réellement émouvante, est le parti-pris de l'auteur d'employer l'anglais pour la plupart des dialogues se déroulant au Royaume (avec les traductions en note de bas de page, bien sûr!). C'est peut-être une prise de risque mais personnellement je trouve le choix justifié.
Cette génération, dite des "millennials" ou Y, grandie à l'époque de l'hypérmondialisation et pour qui l'anglais est la langue commune dans tous les pays où ils se retrouvent, en tant qu'Erasmus à l'université, en tant que touristes, voyageurs ou expatriés à l'âge adulte, a dépassé depuis longtemps les barrières linguistiques. 
Partageant les mêmes questionnements relatifs à l'avenir, à l'amour, à la vie, mêmement angoissés par l'absence de perspectives dans les trois domaines, ils retrouvent dans la langue anglaise un champ commun, partagé, acquis. C'est par ailleurs le cas du trio cosmopolite que forme Nicolas avec Maria, l'Espagnole et Oliver, l'Allemand, ses nouveaux collègues de boulot à Londres.

Passé ces considérations linguistiques, Julie's way est un vrai bijou. Les personnages ont une force palpable, même lorsqu'il sont seulement esquissés, comme la sympathique Roumaine rencontrée dans le car Eurolines qui tient à vanter les mérites de sa fille devant un potentiel futur gendre. C'est drôle, parfois cynique, toujours touchant. Les dialogues, en français ou en anglais sont délicieux: on imagine sans difficulté le passage du roman au grand écran. Les repliques fusent, le sens de la répartie de Nicolas, sous ses airs blasés, est souvent excellent.
"J'aurais pu tenter de lui expliquer, bien sûr, et elle essayer de comprendre. Tout ce que j'avais fui en France, elle me le ramenait par packs de douze, modèle unique sortie d'usine. CV béton, born to succeed, l'homme animal aux dents plus longues que Diego le tigre dans L'Age de Glace"
Une mention spéciale pour Mrs Pimbelton, la logeuse de Nicolas:
"La porte s'ouvrit et mon regard fut aspiré par celui d'une petite bonne femme aux cheveux gris cendre, boulotte comme un pot à tabac: la réplique exacte de Mme Mim dans Merlin l'Enchanteur."
A la fois béquille, bonne fée, amie et voix de la raison, Mrs Pimbelton apporte de la fraîcheur  au récit et achève de donner la patine tellement british du roman.

Vient ensuite la quête ou l'enquête, trouver la trace de Julie, une fille du vent dont la raison de s'enfuir, une fois connue, sera un coup de massue pour Nicolas et pour le lecteur. Mais cette fuite en avant à laquelle le narrateur finira par se joindre aussi pendant un temps, est entre autres, un prétexte pour des descriptions majestueuses de l'Ecosse, des ses paysages sauvages et des ses habitants:
"La brume se leva bientôt sur un paysage nu et solitaire de forêts sans arbre et de rivières. Un carnet sur les genoux, stylo en main, je regardais défiler l'Ecosse de la lande et des tourbières, cette Ecosse au ciel bas qui, dans son landau de nuages, dormait d'un faux sommeil. Car on aurait pu croire, tapis dans la bruyère, cachés derrière une crète, qu'une troupe de highlanders surveillait l'avancée du train, prêts à donner l'alerte. Aucun autre pays, aucune autre région du monde ne m'avait jusqu'ici fait cette étrange impression. Celle d'une contrée qui, sans forcer, par sa manière de respirer, épousait les contours de sa légende." 
A la fois roman d'amour et radiographie d'une génération, Julie's way se dévore comme une gourmandise. Le rythme est alerte, la plume réjouissante, on passe du rire aux larmes en un clin d'oeil.
Un véritable plaisir de lecture!

Julie's way, Pierre Chazal, Alma Editeur, Janvier 2016


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire