mardi 13 octobre 2015

La part du père. Je n'ai pas eu le temps de bavarder avec toi.




Je n'ai pas eu le temps de bavarder avec toi m'a encore obligée à mettre de côté toutes mes peurs et de le prendre à bras le corps (ce n'est pas parce qu'il est court que ce roman ne pèse pas lourd), tout comme Ma mère et moi m'avait forcée à dépasser les mêmes appréhensions et ensuite d'être heureuse de l'avoir fait.
 Cette fois-ci, au coeur du roman, le père. Pour de nombreuses personnes (et plus j'avance dans l'âge, plus je le constate), la part du père est déterminante dans l'évolution de l'adulte, dans le regard que l'ancien enfant pose sur le monde et surtout sur soi-même. Volens, nolens, la vie aidant, nous nous éloignons de nos parents mais lorsque la distance devient non seulement abstraite mais aussi géographique, sociale, culturelle, la cassure peut être irrémédiable.
Le roman de Brahim Metiba parle de cette cassure mais pas seulement. Si dans Ma mère et moi le narrateur cherchait des passerelles qui faciliteraient la communication avec sa mère en Algérie, dans le texte présent c'est le père qui est venu à Paris. En guise de passerelle, un ticket de métro avec un mot: "Je n'ai pas eu le temps de bavarder avec toi, je te laisse ce ticket de métro. Ton père."
Oui, le père est déjà parti lorsque nous commençons la lecture du roman, parti en laissant son fils avec un mot et un ticket de métro, avec surtout beaucoup de questions. 
"Je ne pose pas la question à mon père car nous ne nous comprenons pas. Mon père a sa propre logique du monde. Logique dont je suis exclu. Je ne pose pas la question à mon père car je suis persuadé que derrière ce mystère  entre le temps que mon père n'a pas eu, pour "bavarder" avec moi, et le ticket de métro qui accompagne son mot, il n'y a rien d'autre qu'un ticket de métro qui traînait dans la poche de mon père et qui est inutilisable dans le pays de mon père".
Pourquoi "bavarder" puisque de toute évidence le bavardage, le narrateur nous le dit, reprèsente l'action de parler longuement , familièrement, souvent pour ne rien dire ? Ce n'aurait pas été plus honnête de dire, simplement, "je n'ai pas pris le temps de parler avec toi?"
Ce temps, le narrateur le prendra tout seul, avec son ticket de métro, en s'offrant un cadeau étrange: "Le ticket de métro étant valable pour le bus, je choisis le jour de mon anniversaire, le 24 octobre, pour "bavarder" avec mon père, en bus. Comme il ne faut pas réfléchir, pour que ce parcours soit le parcours de bavardage entre mon père et moi, je prendrai le premier bus qui se présentera, ce sera le cadeau de mon père pour mes 37 ans."
 Ce trajet en bus, effectué depuis Clichy la Garenne vers le Paris intra muros, est un prétexte pour aborder non seulement la relation au père mais également, en filigrane, pour esquisser une ébauche de sociologie urbaine dont les prémices sont extrêmement prometteuses et que, à titre personnel, j'aimerais retrouver dans un prochain roman.
Le cheminement qui s'opère de la péripherie vers le centre géographique via le bus, a son pendant dans le cheminement du bavardage intérieur: l'image du père se dessine au fur et à mesure, en partant des fragments de souvenirs d'enfance pour déboucher sur celui que le narrateur laissera derrière en quittant l'Algérie.
Ce voyage en bus qui doit combler la part du non-dit  ouvre de nombreuses autres pistes de réflexion: en interrogeant la part du père, Brahim Metiba interroge aussi le monde à travers les figures disséminées ici et là entre les pages de son roman. 
Une suite de Ma mère et moi ? Certes, nous retrouvons le style minimaliste, pudique, extrêmement touchant qui personnellement m'avait subjuguée à la lecture du premier roman de Brahim Metiba. Seulement, cette fois-ci, on commence à percevoir la force latente de son écriture et plus encore, un regard qui ne laisse pas beaucoup de place à la concession sur le monde qui nous entoure.
"Petit, j'écoutais mon père parler en français avec ses amis, j'admirais son phrasé. Je ne comprenais rien, ils parlaient politique, mais j'aimais la musique des phrases prononcées par mon père, et l'assurance que ça lui donnait. Puis mon père a cessé progressivement de parler." 
Continuez à parler, Monsieur Metiba!

Je n'ai pas eu le temps de bavarder avec toi, Brahim Metiba, Editions du Mauconduit, octobre 2015

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