lundi 3 août 2015

Ruby Bell - Ruby, Cynthia Bond


On émerge de Ruby dans un état second. Essoré. A plat. 
Ce récit emmêlé comme une pelote de laine que le lecteur suit le souffle coupé, nous plonge dans la vie de Liberty, bourgade noire à l'est du Texas, dans les années 1950-1960.
On tombe sur Ruby dès la première page:
"Ruby Bell représentait un rappel constant de ce qui risquait d'arriver à toute femme chaussée de talons trop hauts. La population de Liberty Township brodait autour d'elle des histoires édifiantes sur le prix du péché et des voyages. Ils la traitaient de folle perdue. De braillarde déchaînée, à moitié nue. ( ... )
Vêtue de  gris, couleur nuages de pluie, elle errait pieds nus sur les routes rouges. Avec de la corne épaisse comme du cuir de botte. Les cheveux durcis de boue. Les ongles noirs à force de gratter l'ardoise de la nuit."
L'histoire de Ruby nous est dévoilée doucement, tout du long de ce roman au coeur duquel ségrégation, esprits malveillants, croyances chrétiennes et païennes, misogynie et amour se croisent, se chassent et dressent le portrait d'une communauté au bord du précipice.
Ruby, petite fille dont la famille semble maudite, connait les abus depuis son plus tendre âge. "Employée" dès ses six ans chez une blanche, elle est la cible de jalousies à Liberty. Son unique soutien, sa cousine, Maggie, de deux ans son aînée, garçon manqué et dure à cuire la protège autant qu'elle peut.
Dès qu'elle arrive en âge de s'en aller, Ruby s'en va pour New York où elle continuera à faire ce qu'on lui a appris: vendre son corps pour ramasser des quarters. Chercher sa mère. Etre indépendante.
Remarquée pour sa beauté, elle se fera embaucher par une Mrs Charlise Gladdington et passera dix ans au coeur du New York bohème et chic des années 1950.
Un télegramme lui annonçant la mort de Maggie la ramène sur ses pas, au milieu des fantômes de son passé. A Liberty rien n'a changé.
" Ruby se souvenait à quel point la mère de Maggie, Beulah Wilkins, avait détesté Liberty Township. Comment elle disait presque tous les dimanches en nettoyant son fusil, quand elles étaient enfants: < Cette ville est maudite.>
Elle continuait: <Pas un seul de ces crétins a eu le bon sens de l'intégrer au comté. Donc Liberty ne dépend ni de l'Amérique, ni de Dieu, de rien. Merde, un endroit qu'a jamais été baptisé par la loi de personne.> Elle enfonçait le chiffon huilé dans le canon. < Ce qui explique bien que le Diable l'ait inscrit dans son livre, il y a inscrit beaucoup d'hommes de Liberty, leur âme fait partie de la liste. >"
 En peu de temps son passé et sa ville auront raison d'elle. Entourée par des fantômes, submergée par de remords, Ruby devient vite la paria, la Jézébel de la communauté. Les hommes ne réchignent pas à s'en servir quand bon leur semble, quant aux femmes, elles préfèrent se cacher derrière leurs Bibles et leur église.
Seul, Ephram, amoureux de Ruby depuis l'enfance, tente de la sauver de son enfer. Il affrontera pour ce faire Célia, sa soeur bigote, qui l'avait élevé tel un fils.

Ruby n'est pas un roman facile. Mais dans son âpreté, les pages d'espoir sont d'une beauté à faire pleurer.

" Puisqu'il n'y avait personne à qui demander des conseils, il inventa. Il commença par lui savonner la tête. D'emblée, ça tourna au noir. Il rinça avec une cruche en faisant couler l'eau dans un seau à part pour ne pas gâcher le bain chaud et propre. Il lui lava la tête une deuxième fois puis il recommença encore et encore. Au septième rinçage l'eau était presque claire. Ses cheveux ressemblaient maintenant à de la laine mouillée, lourde et noire.
Ils commencèrent à chouchoter sous ses doigts. Ils lui montrèrent où les séparer et quoi laisser de côté. Ils lui apprirent à écraser du gingembre sauvage et à le mélanger avec l'huile d'arachide, à tiédir la mixture, à la glisser dans les galeries creusées sous cette effervescence tout en massant du bout des doigts la peau du crâne. Il prit soudain conscience que les cheveux s'étaient adressés à lui toute la journée pendant qu'il faisait le ménage, lui expliquant ce qu'il devait acheter, ce dont ils avaient besoin ... "
 Cynthia Bond nous parle de la folie du monde. Elle ne prend jamais de gants avant de nous balancer à la figure ce dont l'homme est capable. Cependant, un rayon d'espoir est toujours présent. La nature est majestueuse et protectrice. Et l'avenir reste à bâtir.

Ruby, Cynthia BOND, Christian Bourgois, 2015, Traduction Laurence Kiefé

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