mardi 7 juillet 2015

UNE PLUIE SANS FIN, Du post-apocalyptique de qualité chez Super 8!

"L'ouragan Katrina n'était qu'un signe avant-coureur; après des années de catastrophes écologiques, le sud des Etats Unis, de l'Alabama au Texas, s'apparente désormais à un véritable no man's land. Plutôt que de reconstruire sans cesse, le gouvernement a tracé une frontière et ordonné l'évacuation de la zone. Le sud de la Limite est devenu une terre de non-droit ravagée en permanence par les tempêtes et les orages diluviens - un royaume sans électricité, sans ressources et sans lois.
Cohen fait partie de ceux qui, envers et contre tout, ont choisi de rester. Terrassé par la mort de sa femme et de l'enfant qu'elle portait, il s'efforce de panser ses blessures, seul avec son chien et son cheval."
Une pluie sans fin, Super 8 éditions


Je suis assez mauvais public lorsqu'il s'agit de récits "post-apocalyptiques" et, plus généralement, des histoires dont le facteur déclencheur est une catastrophe naturelle. Je ne sais pas pourquoi et surtout ce n'est pas la question. Tout ce que je peux dire c'est que je passe certainement à côté de plein de pépites à cause de ce "blocage". MAIS: je ne suis pas passée à côté du premier roman de Michael FARRIS SMITH, Une pluie sans fin, que nous devons aux Editions Super 8. Ca tombe bien parce qu'il ne faut surtout pas rater ce roman!
J'ai commencé par le feuilleter en librairie, j'avais lu des critiques qui m'intriguaient et puis Super 8, ça donne toujours envie!
Première chose: impossible de "feuilleter" ce livre. Vous plongez directement dans un autre espace-temps, humide, sombre, le bruit entêtant de la pluie dans les oreilles et vous tombez sur ce type, Cohen. Il a besoin de sortir, de quitter la pièce où, retranché, on ne sait pas depuis quand, il survit.
" Il enfila les bottes en caoutchouc abandonnés près de sa couchette, ramassa par terre son gros ciré et son bonnet puis les mit en allant ouvrir la porte d'entrée. La pluie le salua de son rugissement, l'air frais se rua sur lui, et l'anxiété qui suintait des murs à l'intérieur s'évanouit dans l'obscurité humide. Il sortit sous la véranda puis contourna la maison. des tapotements résonnaient par centaines sur sa capuche, l'eau lui montait jusqu'aux chevilles, des rayures d'argent fugaces se dessinaient dans le faisceau jaune de la torche. " 
Il sort donc, et moi aussi, une fois le bouquin acheté. Je voulais savoir à tout prix quelle était l'histoire de ce mec qui vit avec un chien et un cheval dans une maison entourée par la flotte. J'étais mordue.
" Il éteignit la lampe. Le bruit de la tempête se fondait dans celui du ressac, dont l'écume moutonnait sur le rivage. Un vent froid soufflait de la mer. Quand Cohen se défit de sa capuche, l'air et l'eau lui cinglèrent le visage. Il pencha la tête en arrière pour leur offrir son cou et ses oreilles. Dans des moments pareils, il sentait qu'elle était là, près de lui. Elle était la, quand seuls subsistaient la nuit et ce qu'elle avait aimé. Les yeux clos, il s'abandonna à la pluie pénétrante. Elle se tenait au bord de l'eau, les chevilles baignées d'écume salée, les cheveux dans la figure, les épaules rougis par le soleil. Il se laissa tomber en arrière, allongé sur la jument, les bras ballants, le double canon dirigé vers le sable mouillé, la torche oscillant au bout des doigts."
Vous le voyez, n'est-ce pas? Vous êtes à côté de lui, impossible de ne pas sentir l'air salé, l'eau froide sur votre visage tandis que ce mec, prosterné devant un fantôme, prête allégeance aux éléments.
Les descriptions qui naissent sous la plume de Farris Smith sont proprement hallucinantes - comme dans "vous donner des hallucinations" - les paysages, les tableaux apparaissent devant vous comme par magie. Tous les sens sont mis à l'oeuvre et vous vous retrouverez presque dans les pompes de Cohen sans vous en appercevoir. Alors autant savoir de quoi il en retourne.
" La Limite avait été déclarée 613 jours auparavant. Une ligne tracée à cent quarante kilomètres du littoral, de l'Alabama à la frontière séparant Texas et Louisiane, en passant par le Mississipi. Une création géographique, synonyme de renonciation. On laisse tomber. Les tempêtes peuvent se garder le reste. Plus de réparations, plus de reconstruction. Des années d'ouragans cataclysmiques et un tournant climatique laissant présager une succession ininterrompue d'ouragans avaient précédé la déclaration. La Limite signait la défaite. "
Sous cette Limite, Cohen, élevé par un père qui avait passé sa vie à bâtir des maisons sur toute la côte, Cohen qui avait hérité de la passion constructrice de son père et qui l'avait mise en pratique à son tour, Cohen qui vit entouré aujourd'hui par les ruines de ces mêmes maisons. La seule qu'il s'efforce à maintenir debout est celle qui abrite les souvenirs... autrement dit les ruines les plus précieuses.
Nous apprenons le passé de Cohen grâce aux souvenirs du personnage que le narrateur fait surgir comme des petites interférences du passé dans la trame narrative et petit à petit le puzzle de sa vie se reconstitue naturellement au fil des pages.
Il est resté dans la maison qu'il partageait avec sa femme et où ils attendaient tous les deux l'arrivée de leur premier enfant, une fille. Il est resté seul, suite à la mort de sa femme enceinte. Il est resté veiller sur les souvenirs. 
Et après? On pourrait penser que c'est du déjà vu, un autre roman ou un film aurait déjà décrit ce même genre de personnage, une histoire semblante. Ce serait sans compter avec le talent incroyable de Farris Smith qui nous entraîne aux côtés de son personnage dans une course migratoire, du Sud vers le Nord, de la Nature vers une Culture toujours plus éloignée (la Limite bouge aux gré des tempêtes, le Système est impuissant face à ceux qui ont décidé de tirer profit de ce no man's land). Ce serait aussi sans compter avec les rencontres que Cohen fera, des personnages bien campés, forts, parfois haïssables, parfois salutaires. 
Et tout commence par un vol. A vous de voir la suite.

Une pluie sans fin soulève de nombreuses questions, à commencer par celle de la Limite: que fait-on lorsque l'on se trouve du mauvais côté? On tente de l'atteindre et de la franchir, fût-elle un océan.

"Une pluie sans fin", Michael Farris Smith, Super 8 Editions, 2015
(Magnifique) Traduction, Michelle Charrier


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